12 juin 2020

Ma façon de m'engager

En ce moment, des sujets importants sont abordés dans l'actualité. 

Je ne suis pas trop du genre à étaler mes prises de position sur tel ou tel sujet, sur les réseaux sociaux. J'ai même souvent peur de "surfer sur l'actu" pour mettre en avant ses romans (par exemple, j'aurais été assez mal à l'aise de faire de la pub pour "Papa de Papier" lors de la journée internationale du droit des femmes, ou pour la journée contre la maltraitance infantile... même si les thèmes abordés par le roman sont liés à ces questions. Je trouve ça un peu indécent de ramener à moi. Et en même temps, je suis peut-être bête de penser ça. Après tout, c'est important d'en parler. Le tout est de ne pas tomber dans la récupération).

Ma façon de m'engager, c'est d'aborder les thèmes qui me touchent ou m'interpellent, dans mes romans, de manière à permettre aux enfants, aux ados, et aux adultes qui les lisent, de se poser des questions à leur tour. Se remettre en question. Ou peut-être se sentir moins seuls.

Je pourrais sans doute faire beaucoup plus... mais c'est ma réponse, en ce moment, compte tenu de ma vie actuelle et ma capacité à tout gérer. C'est déjà pas mal.

Donc, de quoi est-ce que je veux vous parler avec cet article un peu plus sérieux que d'habitude ? De deux sujets en particulier, que vous avez sans doute vu passer dans la presse, et sur les réseaux : le mois des fiertés, et la défense des personnes racisées (qui englobe le Black Lives Matter). 

Je suis une femme blanche, hétérosexuelle. Je ne suis pas la mieux placée pour traiter ces thèmes (et j'espère n'invisibiliser personne quand je le fais). Mais ces questions sont le reflet de notre société. Je vis dedans. Et je ne veux pas fermer les yeux sur celles et ceux qui traversent des difficultés que je ne connaitrais jamais. Si je peux me mettre dans la peau d'un garçon-fée, d'un vampire préhistorique ou d'un extraterrestre, je crois pouvoir aborder un personnage d'être humain, même s'il est très différent de moi. J'essaye d'être une alliée.

Alors ? Dans quels romans en particulier ?

Parlons d'abord de la question LGBTQ+ : je l'aborde parfois de façon très légère (mention de deux persos du même sexe en couple, par exemple), lorsque ce n'est pas au cœur de l’histoire. C'est important, cette petite touche, parce que c'est aussi le reflet de la société. En parler comme quelque chose de normal sans en faire des tonnes, pour moi, c'est montrer au lecteur que dans la vie, ben, c'est normal, en fait ! 

Mais dans deux romans en particulier, la question de l'homosexualité fait partie du thème principal : dans Jivana, l'héroïne ressent viscéralement une différence avec la norme de sa société. Elle ne veut pas faire d'enfant, on lui suggère que c'est parce qu'elle n'a pas trouvé le bon partenaire, mais elle sait bien que ce n'est pas ça (notez que ça aborde aussi la question des femmes cis qui ne veulent pas d'enfant malgré la pression de la société)... sans spoiler, le cœur de l'histoire aborde la question de l'Amour avec un grand A. Qui va au delà de la question reproductive (qui était un thème important des Fedeylins, et ça m'embêtait de laisser cet univers se fermer là-dessus).


Dans Sueurs Froides, c'est non seulement la question de l'homosexualité, mais également de l'homophobie dans le sport, qui est au démarrage de l'intrigue. À cause de clichés, le jeune Esteban, patineur artistique, est vu (et jugé) comme s'il était gay alors que ce n'est pas le cas, tandis qu'Hugo, hockeyeur, cache son homosexualité à ses coéquipiers de peur de leur réaction violente... Comment faire les bons choix pour assumer qui on est a un âge où le regard des autres peut être cruel ? Pas facile.



Et puisqu'il se trouve que Gulf Stream lance une opération pour le mois des Fiertés, je pense que c'est important de relayer (pour tout achat de Sueurs Froides ou d'un des romans proposés, 1 € sera reversé à l'association Le Refuge, qui aide les jeunes victimes d'homophobie ou de transphobie).

Pour en savoir plus : https://gulfstream.fr/le-mois-des-fiertes-chez-gulf-stream-editeur/


Maintenant, la question concernant la défense des personnes racisées.

Il y a bien sûr L'Empire des Auras, qui parle de racisme et de discrimination. Je décale le problème dans le futur, où on n'est plus jugé sur la couleur de sa peau, mais celle de son aura. Nous sommes dans le point de vue d'une héroïne "de la bonne couleur" qui a été éduquée avec des a-prioris (les rouges seraient tous des voleurs, menteurs, meurtriers potentiels...). C'est un monde où les petites vieilles changent de trottoir en serrant leur sac à main si elles scannent une personne qui ressort de la mauvaise couleur. On a peur de l'autre. On reste entre soi.
Mon héroïne remet en question la façon de penser de ses parents et découvre que la vie n'est pas aussi simple.
Il est question de manifestation pour ses droits. D’arrestations arbitraires. De torture aussi. De sacrifice. Ce roman nous parle de nous, maintenant.
Parfois, je me dis que je ne suis pas allée assez loin. Aucun policier de l'Empire des Auras ne bloque la gorge d'une personne à l'aura rouge jusqu'à la faire mourir. La réalité est pire que la fiction.

J'ai fait des rencontres scolaires autour de ce roman (il y a quelques années, maintenant), et les réactions des élèves étaient stupéfiantes. "Mais Madame, c'est terrible ! Ils sont jugés sur leur couleur !" est celle qui m'a le plus marquée. Ben, oui, les amis. C'est terrible. Les gens sont jugés sur leur couleur. Et pas seulement dans une dystopie. À nous d'agir.
On a eu des débats ("est-ce que Donald Trump a l'aura bleue ?") qui ont forcément fait réfléchir. J'espère que les lecteurs qui le découvrent aujourd'hui s'ouvriront aussi à la réflexion pour que la société évolue dans le bon sens.




Un autre roman dont je voulais vous parler, surtout pour illustrer la façon dont le monde de l'édition fonctionne, c'est le tome 6 de SpaceLeague (qui n'est plus disponible, je fais le maxi pour ressortir la série, promis).
Donc, SpaceLeague, c'est du foot avec des pouvoirs. OK. Foot = équipe = solidarité, chouettes valeurs d'entraide (en tout cas, si on revient à l'essentiel du sport et qu'on ne parle pas des enjeux financiers des clubs et des haines de supporters, bref). J'avais de nombreux personnages, tous différents physiquement (des petits, des grands, des gros, des maigres) de toutes origines. Ils avaient tous des caractéristiques un peu exagérées, façon dessin animé (cheveux longs jusqu'aux fesses ou carrément bleus...). L'un d'eux, Jean-Dominique, dit JD, est un grand noir avec une coupe afro et les dents du bonheur. Il me rappelle des gars croisés au lycée.
"On" (comprenez, certaines personnes lors du travail éditorial) a été un peu crispé sur ce personnage. "On" le trouvait trop cliché. "On" n'aimait pas le mot "noir" comme si c'était une insulte (spoiler : non). J'ai plaidé ma cause : des gamins noirs, j'en croise souvent en salon, et c'est toujours super triste de les voir regarder des couvertures où ils ne se reconnaissent pas. Et une coupe afro, perso, je trouve ça super beau. Bref, j'ai gardé JD. Mais au moment de représenter toute l'équipe sur la couverture...
Je vous laisse regarder. Vous le verrez, tout planqué, au bord. Il est là, mais caché. Ce n'est pas assumé.
C'est compliqué, hein ?



COMBO !

Pour finir, je vais vous parler de Rhizome.
Rhizome traite principalement d'écologie. Il évoque aussi la maladie, et symboliquement, comment on parle à son cancer. 

Mais, dans Rhizome, il y a aussi la question LGBTQ+ traitée de manière simple : Manuela (la petite amie de Jaro, celui qu'on voit en couverture) a deux papas (partant du principe que l'adoption pour les couples du même sexe est étonnamment beaucoup plus facile post-apo, quand il y a des gamins perdus à prendre en charge). Sa meilleure amie est une femme transgenre (c'est pas dit avec des gros sabots parce que ça n'aurait pas été naturel dans le texte, ça aurait un peu trop fait "hého, lecteur, regarde !" mais je pense que c'est tout de même assez explicite). Enfin, je viens de réaliser que c'était plus clair dans la version précédente, mais peut-être moins dans celle qui a été publiée (il faudrait que je vérifie)
Ah, et au cas où vous auriez vu passer les horreurs proférées par J.K. Rowling à ce sujet, qu'on soit clairs : une femme trans est une femme. Point. Il y a des gens qui doivent travailler sur leurs peurs infondées et laisser les autres vivre leur vie.

Et puis, vous n'aurez pas manqué de vous en apercevoir, mon héros est noir. C'est un choix pour la diversité assez faible en littérature jeunesse, c'est vrai, mais également parce que j'en avais besoin dans mon histoire (il était nécessaire que la famille du héros, au moins au niveau de ses grands-parents, ait des croyances animistes, ce qui n'est pas hyper européen, comme culture. Bref, son grand-père vient du Zimbabwe). 

Au moment de la couverture, la première proposition était très différente. On voyait bien le héros... mais aux rayons X ! Autant dire que ça invisibilisait complètement le personnage. Mon expérience liée à SpaceLeague m'a permis de défendre le fait qu'on devait absolument le voir. Heureusement, l'éditeur a bien compris l'aspect militant pour la diversité (qu'il n'avait pas spécialement vu car ce n'est pas le cœur de l'histoire) et nous avons eu cette magnifique couverture.

Petite anecdote de rencontres scolaires, un jour, j'ai vu deux classes à la suite, et la configuration du lieu faisait que je ne pouvais pas afficher mes différentes couvertures comme je le faisais d'habitude. Je montrais donc les couvertures au fur et à mesure de ma présentation des romans.
Quand j'ai présenté la couv de Rhizome au premier groupe, un élève a pouffé et lâché quelque chose du genre "Il a des grosses lèvres ! Pourquoi ?" (ce à quoi j'ai répondu qu'il était né comme ça, et que je le trouvais très beau, moi). Vous imaginez que j'étais un peu contrariée, avec cette impression de "il y a du boulot".
Lorsque j'ai présenté la couv au second groupe, une voix s'est élevée : "Oh ! On dirait moi !". Et, effectivement, le garçon qui avait parlé avait la même coupe de cheveux, le même nez, la même forme de visage...
Ça m'a fait vraiment plaisir d'avoir le retour direct de quelqu'un qui se reconnaissait. Et je me suis dit que je faisais tout ça au moins pour lui.


Maintenant, ma peur, c'est de dire (ou d'avoir dit dans un roman déjà publié) des bêtises. D'employer des thermes qui me semblent OK mais qui sont offensants. Alors les étapes de bêta-lectures sont cruciales pour vérifier que ma façon d'aborder certains thèmes ne disent pas l'inverse de ce que je voudrais. Je sais que je peux faire des erreurs. J'essaye au maximum que ce ne soit pas le cas. Et continuer à apprendre et à me remettre en question. Si jamais vous en découvrez, n'hésitez pas à m'envoyer un mail pour que je le sache.

Je ne suis pas encore très bonne au niveau de l'écriture inclusive (je préfère "celles et ceux" à "celleux",  par exemple). J'essaye d'y être vigilante. 

Ah, et pour terminer sur la question du racisme, une anecdote qui date de mes vingt-ans, bien avant ma première publication : on ma suggéré de masquer mon prénom sur mon CV si je voulais trouver du travail. Mettre mon deuxième prénom qui sonne "plus français". Ma photo.
J'avais souvent eu à justifier mon prénom, dans mon enfance (on me demandait mon origine au moins une fois par semaine), mais avec le coup du CV, j'ai entraperçu un tout petit bout du problème.
Je ne peux pas dire que je comprends ce que vivent les personnes racisées. Mais ce petit détail était comme un glaçon qui m'a fait prendre conscience de l'iceberg dont j'ignorais l'existence.
Aujourd'hui, je sais qu'il est là. Et j'essaye de faire de mon mieux pour ne pas être une partie du problème.
Cette anecdote date de l'an 2000. En 2020, hélas, il y a encore beaucoup à faire. Alors, essayons.

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